Et si certains territoires réussissaient à attirer l'innovation, à devenir le parfait laboratoire vivant grande échelle ?
Passer du stade de l’objet à celui de service impose d’expérimenter avec des conditions aux limites très différentes et introduisant un paramètre peu modélisable : l’humain, dans toutes les situations de vies.
Alors qu’un objet se valide sur différents moyens d’essais plus ou moins complexes, le service ne se valide que par l’usage ou plutôt les usages. Dans le domaine des transports et mobilités, ce changement est déjà engagé d’autant plus que les validations portent sur plusieurs services opérés par différents acteurs, à différentes échelles territoriales.
Nous sommes entrés dans l’ère des livings labs, des territoires laboratoires pour tester à grande échelle des solutions de mobilité, les optimiser localement, les remettre en cause, développer des briques standards duplicables…
Se pose alors la question d’un territoire laboratoire « optimum », quelles seraient ses caractéristiques ? Imaginons qu’il existe, il attirerait naturellement tous les projets innovants en matière de transports de marchandises et mobilités des personnes. Il se positionnerait comme un nouvel « acteur » incontournable attirant également laboratoires des usages et industries. Dans une concurrence mondiale, plusieurs territoires laboratoires leaders ne sont pas souhaitables mais indispensables pour les industries, pour les citoyens.
Bien évidemment, un des fondamentaux est l’ouverture et la mise à disposition des données, permettant notamment de créer, de quantifier (notamment les bénéfices du système testé), de rendre compte, de réduire l’asymétrie. Mais il faudra également identifier et lever toutes les barrières freinant la capacité à expérimenter : nommer un interlocuteur unique, innover au niveau juridique pour qu’une expérimentation puisse être réalisée éventuellement en dérogation de droit (comme cela semble possible dans le rapport du Conseil d’Analyse Economique, voir ici), pour que l’on puisse expérimenter rapidement des véhicules qui ne sont pas commercialisés grâce à des méthodes validées par toutes les parties prenantes en amont des essais, rendre visible et public tous les projets, résultats pour que tous les citoyens s’impliquent dans la démarche …
Ouverture des données, Rennes montre la voie
La FING, dans le guide pratique ci dessous, rappelle et détaille l’open data. Une opportunité ? un risque ? pourquoi faire ? pour qui ?
« En s’y engageant, les acteurs publics ont l’occasion de gagner en efficacité, de contribuer au développement économique et à l’amélioration de nombreux services aux habitants comme aux entreprises, de faire émerger des connaissances inédites sur un territoire, et enfin de partager les éléments de la décision publique avec une société civile qui le demande.
Il s’agit donc d’une véritable opportunité pour les territoires, qui plus est moins coûteuse et moins complexe qu’il n’y parait de prime abord. Chaque territoire la saisira à sa manière, en expérimentant et généralisant. Malgré tout, de nombreux éléments doivent être pris en compte : juridiques, techniques, économiques, organisationnels. Plusieurs territoires en Europe, et en France, montrent la voie : leur expérience a vocation à servir aux autres. »
La ville de Rennes a été la première à se lancer. Toutes les infos sont disponibles ICI. Le mouvement d'ouverture des données à Rennes a commencé avec les données concernant le service de vélo en libre service : Le Vélo Star. Puis Kéolis Rennes amis à la disposition de tous ces données concernant les bus et le métro. De quoi imaginer des dizaines d'applications qui facilitent la vie quotidienne des usagers rennais des transports en commun ! Pour Xavier Crouan, « Un accélérateur formidable pour développer des applications, mais aussi un moyen d’orienter nos politiques publiques sur l’accessibilité ou l’éco-mobilité, par exemple ». A l’issue de ce concours récemment clôturé, 50 applications ont été créées et 43 retenues pour être soumises à un vote du public. Pour Xavier Crouan, cette démarche a avant tout permis de faire appel à la « capacité créative des citoyens », qui dessinent ainsi eux-mêmes les services dont ils ont besoin. Ce constant confirmant que l’innovation sociale n’est plus seulement du ressort des institutions mais des citoyens eux-mêmes. Pour Rennes, cette action a permis de « mettre en dynamique des acteurs du territoire qui ne se parlaient pas, autour d’une animation territoriale ».
Elsa Sidawy, dans un article posté sur Innovinthecity, analyse ce phénomène.
Serge Soudoplatoff de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), introduisait la première table-ronde sur le thème « Quel sens donner au monde des données ouvertes ? ». Observant les exemples étrangers, l’enseignant et entrepreneur expliquait que passer à l’intelligence collective exigeait un changement profond des modes de gouvernance de l’administration. Ce changement de paradigme va obliger les municipalités à passer à un mode collaboratif, ce qui implique de « dépasser les clivages politiques habituels des partis qui s’affrontent ».
Un constat que ne renie pas Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’innovation : « Nous vivons une période de transformation profonde. Quand il y a ce type de rupture technologique, c’est l’ensemble des secteurs de la société qui sont transformés et il n’y a aucune raison pour que la politique ne soit pas transformée ». L’élu perçoit l’open data comme une brique dans cette nouvelle forme de gouvernance entre gouvernants et gouvernés dans une ville qui serait coproduite. Afin de parvenir à cela, les asymétries d’information actuelles doivent être réduites : « pour lutter contre cette asymétrie de l’information, il faut ouvrir les données afin qu’elles puissent être traitées par tous ». Pour le sociologue des médias, la ville doit se gérer un peu comme une entreprise avec un contrat de performance qu’elle garantirait à ses concitoyens. Jusqu’à aujourd’hui, l’organisation de la plupart des villes du monde se fait en silos : des directions puissantes qui communiquent peu entre elles, contribuant ainsi à l’inertie de la puissance publique telle que les citoyens se l’imaginent volontiers. Il apparaît aujourd’hui nécessaire de décloisonner et d’assurer les transversalités entre les différents services de la ville : « ce modèle est une révolution par rapport aux modèles d’organisations dans les villes du monde entier », ajoute-t-il.
Michael Cross, journaliste au Guardian et initiateur du mouvement de l’open data (Free our data) en Europe est revenu sur la transparence permise par l’ouverture des données. Une transparence perceptible notamment depuis l’élection du nouveau gouvernement anglais.
François Bancilhon, CEO du site Data-publica, un annuaire de données lancé en septembre dernier, expliquait quant à lui que l’ouverture des données allait permettre aux citoyens d’accéder en plus grand nombre à l’ensemble des données produites pour pouvoir « optimiser les systèmes, de transport, d’énergie, de livraison de marchandises… et définir les stratégies du futur ». Et ainsi anticiper des catastrophes sanitaires telles que la canicule de 2003 ou le blocage de l’autoroute A6 en décembre dernier.
L’open data est donc bien une condition de succès à l’implication des utilisateurs, permettant non seulement une co-conception, mais également une conception par les utilisateurs. Dans le rapport de la FING, il est bien signalé les nombreux avantages : décloisonner l’action publique, rendre l’action publique plus lisible, inviter au partage et à la collaboration, créer des bases communes, et améliorer l’attractivité des territoires.
« Les acteurs du tourisme peuvent proposer aux publics qu'ils connaissent bien des services plus complets, des informations plus riches – et peuvent contribuer à en traduire une plus grande partie, et dans d'autres langues, que ce que des organismes publics aux moyens limités,proposent. Des entreprises cherchant à s'implanter, des familles cherchant à se loger, peuvent disposer d'une connaissance plus fine du tissu économique, d'une meilleure vision des services accessibles ou de la vitalité de la vie locale. L’ouverture en elle-même, et son effet mobilisateur, sont déjà des moyens d’animer une dynamique positive rejaillissant sur l’image de la collectivité, de son territoire. Les démarches ludiques - concours, etc. - de stimulation de la réutilisation des données, ou d’enrichissement participatif de celles-ci constituent à elles seules de nouveaux modes de relations aux publics locaux comme extérieurs au territoire. »
Les territoires sont donc devenus incontournables dans l’expérimentation de systèmes complexes. Ils deviennent des partenaires avec des compétences spécifiques déterminantes dans la chaîne de valeurs des produits et services développés. Intégrant l’open data, réduisant toutes les principales barrières à l’expérimentation grande échelle, impliquant et motivant les citoyens dans les projets, étant capables de capter l’innovation diffuse des développeurs, les meilleurs territoires vont attirer à eux encore plus d’innovations, de savoirs, de compétences. Par un effet classique d’apprentissage, ces territoires leaders vont se détacher et dominer.
Pour aller plus loin, le rapport du Conseil d'Analyse Economique déjà identifié dans un précédent article (voir ICI) détaille de nombreux points sur le rôle clé des territoires.
Bonjour Gabriel et bravo pour cette très belle analyse.
J'ajouterais à votre conclusion que les open data sont également un outil de responsabilisation les citoyens. Responsabilisation parce que le citoyen n'est plus seulement placé en position de juger une politique (qu'il s'agisse de transports, ou d'investissements, d'éducation, de gestion budgétaire, etc...), il est placé en position de créer, d'agir, de proposer. Les applications créées autour de ces données vont permettre d'aborder sous un angle différent chacun de ces thèmes.
Le pendant de cette démarche de création est une nécessaire analyse basée là encore sur les données mises à disposition. Cela signifie que les développeurs, les citoyens souhaitant exploiter ces données, doivent nécessairement effectuer un traitement de celles-ci pour extraire la substantifique moelle. Effectuer les bons recoupements d'information, identifier celles qui sont pertinentes, ... cela demande un travail de réflexion et un intérêt pour la chose publique (res publica, en latin).
La première étape de la libération des données publiques a été les transports pour la ville de Rennes. Cela avait été le cas également pour certaines villes américaines. La ville de Paris a opté pour d'autres données, comme celles ayant trait à la culture, à l'urbanisme ou à la citoyenneté.
Il ne s'agit pour le moment que de données peu engageantes politiquement, et ayant un intérêt limité aux yeux de la communauté (c'est un peu moins vrai pour les transports où des applications bien développées peuvent être réellement utiles et utilisées).
Il me semble que le réel enjeu est que nous tendions vers une prise de conscience générale (qui semble progressivement s'opérer puisque Brest, Nantes ou Montpellier devraient suivre ce mouvement) afin que l'ensemble des données intéressant le citoyen soient mises à sa disposition, à tous niveaux de gestion collective (commune, communauté de commune, département, région, ministère...).
Le stade ultime est la libération de données budgétaire puisque celles-ci permettront une analyse en profondeur de la gestion effectuée par nos dirigeants. Nous tombons alors dans une démarche de transparence qui va imposer une certaine rigueur à la classe politique. La transformation est donc autant si ce n'est plus, sociale, sociétale et comportementale, que technique.
Ce sujet prend une ampleur de plus en plus grande, et il est réellement passionnant. Nous avions réalisé un article de vulgarisation sur le sujet sur le TypePad Magazine :
http://www.typepad.fr/magazine/2011/01/open-data-quest-ce-que-cest-quels-enjeux-pour-le-grand-public.html
Le site Regards Sur Le Numérique géré par Microsoft, ou la FING sont également d'excellente sources d'informations et produisent des analyses de qualité.
A titre personnel j'ai participé au concours organisé par la ville de Rennes, en créant le site My Best Rennes : http://mybestrennes.com
Gageons que cette tendance continuera à prendre de l'ampleur et que nous réussirons à engager le dialogue sur ce sujet avec de plus en plus d'hommes et de femmes politiques pour les expliquer les enjeux et les apports de ces open data.
Romain
Rédigé par : Account Deleted | 25/03/2011 à 10:14