Mobilités et catastrophisme éclairé
Le dernier rapport du CAS sur la voiture replace le VE dans un scénario plus mesuré, rappelant notamment le rôle puissant de la réglementation sur le CO2, des marges de progrès sur les véhicules thermiques et thermiques-électriques. Même si le rapport indique comme principaux clients les flottes et les services d’autopartage, il remet peu en perspective l’arrivée de solutions intégrées dans lesquelles le VE pourrait être géré par des sociétés privées opérant les véhicules. Néanmoins, ce rapport ouvre des scénarios dans lesquels le VE aurait une place limitée, nécessitant pour atteindre des objectifs Facteur 4, de trouver « d’autres pistes de progrès ». Il est proposé dans cet article de s’intéresser à des situations dans lesquelles il n’y a pas de solution technologique « simple et disponible » qui permettrait aux citoyens et aux entreprises de fonctionner « comme avant ». Dès lors, ces situations peuvent être qualifiées, dans certains cas, de catastrophiques, d’un point de vue technologique, économique, écologique, social et philosophique.
Conjonction d’un baril de pétrole donnant un carburant à 2€/litre, forte tension sur les finances publiques conduisant à des restrictions vers les régions et départements d’où réductions ou arrêts de certains financements de transports publics (transports scolaires, transports publics urbains et interurbains), et des coûts de santé incompatibles (notamment lié à l’obésité) avec les systèmes de financement en place conduisant, notamment à cause des finances publiques sous tension, les ménages à se tourner de plus en plus vers des assureurs privés. Ce troisième phénomène, à priori peu lié aux transports, rendra visible un phénomène de fond très important pour la mobilité, l’accès à des données considérées comme confidentielles pour bénéficier de réduction financière.
Ces trois hypothèses sont tout à fait cumulables avec des probabilités non nulles dans les 5-10 prochaines années. Dans ce scénario, nous sommes obligés d’optimiser l’usage de l’énergie et des infrastructures, comme tenu de notre incapacité à en développer de nouvelles. Quelle est la robustesse de nos systèmes de transports à ces tendances ? Comment faire (beaucoup) mieux uniquement avec les objets (véhicules, infrastructures, énergies) que l’on a ?
Les territoires se caractériseront alors par leurs capacités à « être mobile à des conditions économiquement acceptables ». Des conséquences en matière d’employabilité pour les salariés, et de recrutement pour les entreprises vont apparaître. Certaines organisations économiquement efficaces comme les 3x8 (permettant de maximiser l’utilisation de l’outil de production) deviennent inacceptables pour les salariés condamnés à la voiture individuelle. En résumé, ces trois évènements vont impacter fortement l’organisation des entreprises et des ménages qui tenteront de fonctionner « comme avant ».
Rapidement des solutions se mettent en œuvre, pour mieux utiliser nos moyens existants, pour mieux remplir les véhicules en circulation, pour ré-organiser nos activités quotidiennes. Les TIC offrent des opportunités essentielles : être capable d'apporter une information à forte valeur ajoutée, hypercontextualisée, du "sur-mesure" à coût nul. La plupart des territoires libèrent leurs données, dans la suite d'etalab, comprenant que cela génère des outils citoyens très utiles sans coût pour la société. Mais globalement, cela conduit à des restrictions de mobilité, notamment en dehors des mobilités contraintes (domicile travail, alimentation). Les conséquences sont importantes pour le secteur du tourisme en Europe et surtout en France, et pour le secteur des loisirs. Dans certains territoires, les déplacements deviennent insupportables même pour des mobilités «jugées aujourd’hui indispensables » comme, par exemple, la scolarisation des enfants.
Pour trouver des dégrés de libertés dans un système apparemment hypercontraint, de nouvelles compétences apparaissent associées à des produits/outils : ingénierie des réorganisations d’entreprises (dont les salariés) et des ménages pour permettre d'utiliser massivement des solutions de mobilités alternatives.
De nouveaux outils apparaissent pour mieux choisir en connaissant les paramètres clés. Ainsi par exemple :
- Les collectivités voudront connaître les performances réelles des solutions de mobilités partagées comme l’autopartage dans d’autres villes ou les meilleurs transports publics en France pour décider de meilleurs investissements, modifier les transports actuels et rendre compte de ces actions. Certaines ayant des systèmes de transport efficaces en feront un atout majeur d’attractivité. A l’opposé, des territoires deviendront de véritables îlots desquels les habitants ne pourront plus bouger. Des tiers lieux se développent mêlant lieu commercial, télécentre, lieu de rencontre, dont le café Starbuck préfigure la forme,
- Les citoyens voudront connaître les performances de toutes les solutions pour mieux choisir, avoir des outils pour connaître les conséquences d’une relocalisation de l’habitat, du lieu de travail ou des écoles. Ils développeront rapidement des solutions de partage simples et efficaces, tirant profit des TIC. En parallèle, certains feront pression sur les entreprises pour modifier leurs organisations, développer l'utilisation des téléactivités, créer des bus de ramassage. D'autres feront pression sur le gouvernement pour réduire les taxes sur le carburant à un niveau acceptable (voir précédente note sur ce sujet), en commençant par certaines professions libérales (infirmière, livreur, taxi...),
- Les entreprises voudront connaître l’impact de leur (ré)organisation sur leur attractivité vis-à-vis des salariés, sur leur robustesse, tant au niveau de la logistique que de la mobilité des salariés. Certaines feront pression sur les pouvoirs publics pour investir dans des infrastructures, des transports publics, en menaçant de délocaliser dans des territoires ou pays ayant des solutions plus efficaces et robustes,
- Les pouvoirs publics au niveau national voudront avoir des outils pour arbitrer au mieux dans l’usage de l’énergie (en jouant notamment sur la fiscalité) et l'usage des infrastructures entre mobilité des personnes et transports de marchandises. Comment choisira-t-on la priorité à donner entre un TER et un train de FRET à 8h00 ? Comment décider des meilleurs investissements d’infrastructures ou encore de tarifications et fiscalités,
- Les compagnies d'assurances privées proposeront des offres couplant mobilité et santé, favorisant le développement des modes actifs (vélo, marche), en échange d'un accès à certaines données.
La théorie du « catastrophisme éclairé » selon JP.Dupuy indique que l’on doit être sûr que la catastrophe va arriver pour mieux l’éviter. La résilience, spécification principale de nos futurs systèmes de transports ?
Sans doute. Cela revient à bien connaître et comprendre le système existant, tant au niveau des paramètres influents que des rétroliens engendrant les effets rebond, pour alors prévoir les risques et mieux saisir les opportunités. Deux émissions de France culture (Faut-il être catastrophiste ? Répliques et Planète Terre , sur la catastrophe au Japon) nous aident à mieux comprendre les catastrophes modernes qui mêlent erreur humaine, économie, écologie, industries, et pouvoirs publics.
Se placer dans un scénario dit catastrophe à plusieurs niveaux du territoire, avec l’ensemble des acteurs, présente de nombreux intérêts, permet d’engager des réflexions et de développer des outils permettant à minima d’identifier les zones, habitants, entreprises les plus fragiles. Engager des actions pour modifier les activités, les modes d'organisation et de management des entreprises, pour les rendre plus résilientes et plus efficaces, reste une action gagnante quelque soit l'avenir. Le développement de solutions multimodales fluides en temps réel prendra plusieurs années, et demeure tout à fait complémentaire avec des réflexions de ce type.
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