Votre réputation (numérique) sera votre monnaie, et la base de votre implication altruiste
L’automobile n’a pas été inventée en faisant des innovations sur la calèche. Alors qu’il existait une industrie du foin, il n’existait pas d’industrie du carburant liquide, ou d’industrie du pneumatique. Cet écosystème complexe (au sens du complexus, tissé ensemble) s’est auto-alimenté autour d’un futur crédible et souhaitable, reprenant JP Dupuy, d’une création, l’automobile, objet de liberté et de productivité.
Nos systèmes de transports du futur, résilients, économes, efficients, multicarburants ne seront pas obtenus en innovant uniquement sur l’automobile. Quels sont les imaginaires portés aujourd’hui par les services de mobilités existants ? quels seront ceux engendrés par la prochaine génération de services dans un monde numérique et connecté ?
Pour réaliser cette projection, nous (citoyens) devons accéder à un niveau de connaissance « supérieur » à la fois de nos pratiques quotidiennes essentiellement portées par l’automobile et les 1er services de mobilité. Il nous faut également progresser sur nos représentations de ces mobilités, et sur des processus de conception de solutions de mobilité/immobilité adaptées à nos futurs modes de vie et de collaboration, nos futures entreprises, nos futures cités. Il s’agit bien de pure création d’un nouvel écosystème crédible et souhaitable. Et si la principale innovation n'était pas une solution de mobilité, mais des outils de représentations de nos pratiques, pour mieux intégrer ces feedbacks dans le design des systèmes de transport ?
Cette compréhension de la complexité n’est possible qu’avec le numérique et le rôle clé des données, à travers plusieurs étapes : création des données brutes, traitement et big data, interfaces riches pour leur donner du sens. HenriVerdier, directeur d’Etalab, nous rappelle que les données ne sont pas un carburant, et détaille leur rôle clé pour nos économies.
Le pétrole est une ressource naturelle non renouvelable. On investit pour l'extraire, on l'accumule, le transporte, le distribue. Puis on le transforme en énergie, ou en matériaux. Utiliser le pétrole, même transformé, le détruit et donc en détruit la valeur. Il a en effet une valeur d'usage qui disparaît après utilisation. Il a un propriétaire, il s'échange sur les bourses du monde entier, il disparaîtra... Sa valeur est transitive : 100 fois plus de pétrole vaudra 100 fois plus de valeur.
Les données n'ont rien de naturel. Elles sont produites par des dispositifs techniques, développés par des ingénieurs, en fonction de certains objectifs, et qui ont trouvé des financements... Elles s'articulent d'une manière ou d'une autre au réel, dont elles sont la trace, le symbole ou l'empreinte. Un réel qui peut parfois même être le fort intérieur de l'individu, inaliénable et incessible... Elles sont parfois extraites (comme le pétrole), mais de plus souvent produites et échangées librement par les individus. Ce ne sont pas des ressources rares. Non seulement elles ne s'usent pas quand on les utilise, mais elles prennent sans doute même de la valeur. Cette valeur, comme leur sens, dépend profondément du contexte. Les données peuvent être accaparées, mais il est difficile de les stocker,
notamment parce qu'elles coûtent de moins en moins cher à produire et que la multitude finit toujours par les produire elle-même à bas prix. Elles peuvent aussi servir à constituer des biens communs non rivaux. Leur valeur est donc plus que transitive (le tout vaut plus que la somme des parties).
Ensuite, cette tentation de vendre les données brutes, comme on vend du pétrole brut, en imaginant qu'on touchera une fraction significative de la valeur d'usage et qu'on pourra continuer à vendre des données après épuisement des premières. [Il faut ] utiliser les données comme support d'innovation, créer de grands référentiels qui ouvrent le champ des possibles, créer de grandes plateformes autour de ses jeux de données, les croiser pour mieux les féconder, les faire vivre dans les interactions.
D'une part, les données sont "moins" qu'une matière brute. De plus en plus un substrat, un continuum qui décrit de plus en plus l'ensemble de la réalité et dans lequel il faut désormais apprendre à se mouvoir. Un substrat de plus en plus complexe, avec lequel les gens apprennent à construire une image d'eux-mêmes.
Et en même temps, les données sont "plus" qu'une matière première ou une énergie. Elles deviennent insensiblement à la fois le contenant et le contenu de la révolution numérique. Elles deviennent le nouveau code au coeur de la machine Internet, le flux sur lequel se greffent toutes les autres applications, le principe d'organisation et de régulation du numérique. Elles conjuguent à la fois, dans un format fluide et maniable, du sens, de la raison, de l'imagination et même de l'esthétique.
Les données restent un impensé. A la fois empreintes, quasiment organiques, et matière éminemment politique, pénalisées par une définition, qui, en Français, est un faux ami (rien de moins "donné" qu'une donnée), leur fonction, qui est souvent confondue avec une variable alors qu'elles sont de plus en plus le principe fondamental sur lequel se greffent le code, les applications et les usages, et leur régulation qui a été pensée pour les informations et les documents, mais pas pour cette matière hyperfluide, il reste un énorme travail de pensée à fournir pour comprendre comment vont s'architecturer désormais nos économies, nos rapports sociaux et nos identités.
Dans un scenario de prospective réalisé par la FING, les données jouent un nouveau rôle, celui de devenir source de revenu pour ceux qui les génèrent : Les big data à la base du revenu universel d’existence - “Pas d’usages du numérique, pas de revenu !”
Suite au rapport français Colin&Collin paru en 2013, une fronde s’étend en Europe. La réutilisation des données personnelles, symbolisée par les « Big Data », fait l’objet de luttes sociales et politiques importantes. Les entreprises pratiquant l’analyse et la réutilisation des données personnelles se voient contraintes, à partir de 2014, de payer des droits de réutilisation aux usagers, selon un modèle élaboré par les CNIL européennes. Ces rétributions deviennent alors la base d’un revenu minimum d’existence, complété par des aides publiques et du salariat classique. Mais de nouvelles inégalités apparaissent, en particulier auprès des publics dits de l’e-exclusion.
Les données générées par les citoyens, partagées de façon volontaire, « citoyenne », pourraient être à la base de nouvelles connaissances inédites indispensables pour créer cette projection crédible et souhaitable . Ces nouveaux savoirs permettront aux pouvoirs publics, sous un contrôle rapproché des citoyens à inventer, de mieux choisir, de mieux rendre compte, de concevoir de nouveaux dispositifs d’aides et de taxes adaptés aux changements de comportements que ces derniers veulent induire. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Personne n’a encore inventé le marketing politique qui sous-tend ce « don » de données, ce nouvel altruisme numérique.
Actuellement, les producteurs de données, les usagers, se rendent compte des « prises de bénéfices » rendues possible par leur donnée à destination des entreprises. Dans certains cas, les « retours sur dons de données » sont satisfaisants : les services progressent, les expériences proposées deviennent plus séduisantes. Mais dans la majorité des cas, ce n’est pas le cas.
Dans The Nature Of The Future: Dispatches From The Socialstructed World, Marina Gorbis soutient que nous nous éloignons du monde dépersonnalisé de la production institutionnelle vers une nouvelle économie fondée sur des liens sociaux et des récompenses - un processus qu'elle appelle « socialstructing ». Ainsi cet altruisme numérique pourrait être facilité par de nouvelles monnaies. Ces traces numériques enrichies par croisements avec d’autres données
The “Reputation Statement of Account” that Tester designed remains one of my favorites; it perfectly encapsulates the idea of social currencies emerging as we reorganize our lives around social relationships. The statement looks just like an American Express monthly statement, but instead of accounting for your monetary transactions, it tells you how much you’ve earned by contributing to sites such as Wikipedia or Flickr, how many points you’ve earned by providing rankings or ratings on various community sites, or how much social currency you’ve spent by asking someone for advice. Since then, several projects have sprung up that measure people’s online contributions and reputations.
Commodifying social contributions--turning these into currencies that can be accumulated, hoarded, traded, and invested--may have unintended consequences. It could undermine precisely the kind of exchanges and volunteer contributions that are integral to the gift economies they are supposed to promote. In fact the word currency may be the wrong way to describe the incentives for facilitating flows inherent to social creation. The MetaCurrency Project coined the term current-see to emphasize the social flows of the exchanges it is trying to enable. Indeed, we need to invent new language and new terminology to describe the kinds of exchanges and values that comprise core elements of social production. This puts tremendous responsibility on people who design social platforms, because it is these design elements that will determine whether the platforms will foster gift exchange, competition, generosity, or new forms of greed.
We created social technologies. Our next task is to create social organizations: systems for creating not merely goods but also meaning, purpose, and greater good. Can we imagine a society of “private wealth holders whose main objective is to lead good lives, not to turn their wealth into capital?” asks political economist Robert Skidelsky. Or better yet, might they turn their wealth into a different kind of capital—social, emotional, or spiritual? Our technologies are giving us an unprecedented opportunity to do so.
Klout, Peerindex préfigurent de futurs agrégateurs de votre présence numérique, images de vos articles, vos réseaux, votre implication et les retours. Progressivement, votre formation scolaire sera de moins en moins utile, vos diplômes également. Ces « avoirs » seront remplacés par un « être », numérique, capable (ou pas) de participer à la création de nouvelles connaissances, de partager de nouvelles données, de les mettre en valeur, de concevoir et distribuer de nouvelles idées, de faire naître et d’entretenir des dynamiques collaboratives, d’être relié dans la durée à des réseaux de compétences étendues, d’apprendre et d’organiser ces nouveaux savoirs, d’identifier les leaders d’opinion pour se relier à eux, … Toutes ces compétences deviendront visibles, quantifiables, traçables, ré-utilisables par d’autres. Ainsi, par exemple, votre implication dans la production de données brutes, la facilité d’accès à votre base documentaire et son design participeront à votre réputation.
Cette réputation numérique sera bien sûr liée à votre réputation « classique », qui devront être cohérentes avec vos actions et réciproquement. Elle n’en sera pas moins différente, plus dynamique, plus imprévisible car dépendante en grande partie de votre reliance. Son contrôle sera indispensable tant sa valeur sera grande.
Le choix est désormais assez simple. Nos traces numériques sont et seront utilisées par l’Ordre Marchand pour augmenter l’asymétrie vis-à-vis des clients et accroître les profits. L’étude récente de la CNIL et de l’INRIA le rappelle. Plusieurs actions sont à engager pour réduire cela. Reprenant Marina Gorbis « Or better yet, might they turn their wealth into a different kind of capital—social, emotional, or spiritual? Our technologies are giving us an unprecedented opportunity to do so.”
Il est effectivement possible de s’engager dans une autre voie basée sur une forme d’altruisme citoyen : des données anonymisées et protégées mais partagées et mises en commun pour leur donner du sens et maximiser l’efficience des actions publiques. Ces données, leurs usages, leurs « productivités », et les bénéfices engendrés seront la base de notre future réputation numérique.
Déjà mis en scène par la science-fiction et presque déjà en cours dans le monde universitaire : http://yannickrumpala.wordpress.com/2009/04/18/evaluation-des-enseignants-chercheurs-et-science-fiction/
Rédigé par : TT | 29/04/2013 à 22:17