Le logiciel dévore le monde, quand les codes dominent les objets
Cet article Le logiciel dévore le monde … depuis les Etats-Unis complète et confirme les propos de précédents articles notamment : Google mobility service et Nos systèmes de transport et la révolution numérique, pourquoi cela va tout changer.
Google Mobility Service, article de Science Fiction, décrivait les services de mobilité que ferait Google en reprenant leur démarche et leur lecture du monde. Le logiciel possède une place centrale. L’autre article rappelle les risques à l’inaction vis-à-vis des codes numériques : "apprenez à programmer ou vous serez programmé".
Il devient maintenant évident que la majorité des ruptures que l’on observe sont liées à ce basculement de la valeur vers les logiciels. Ceci est vrai dans tous les domaines : tourisme, transport, services urbains, banques, éducation, santé… Concevoir et produire en masse des objets sans avoir pris soin de les « enrober » voire même de les « tisser » avec plusieurs couches de logiciels devient risqué voire inutile. Le logiciel permettant d’offrir de nouveaux services et de nouvelles expériences, il doit être lié à l’objet de façon complexe, au sens d’Edgar Morin - complexus : ce qui est tissé ensemble, nous y reviendrons. Les quatre raisons identifiées par Nicolas Colin sont particulièrement importantes :
- Sa position « au dessus » des objets pour mieux les administrer, les utiliser, les exploiter, et de définir l’allocation des ressources dans la chaîne de valeur,
- Sa position « au contact » des clients lui confère un avantage supplémentaire : l’accès à des données inédites sur les usages, les besoins des clients dans un 1er temps, puis sa capacité à devenir l’unique interlocuteur dans un 2nd temps. Certains ont déjà compris que les données ne sont qu’un carburant pour mieux comprendre les changements …
- Sa capacité à faire participer les usagers eux-mêmes au processus de production : le moteur de recommandation d’Amazon fondé sur vos historiques d’achat et les achats de clients « proches ». Le logiciel construit progressivement des bases de connaissances inédites sur les clients, sur les raisons de leurs choix. Ceci permet d’accéder à des rendements d’échelles considérables pour mieux vendre les produits/services totalement adaptés aux besoins exprimés, et de conduire à la 4ème raison,
- Sa capacité à mettre l’acteur du logiciel en position dominante pour lui permettre de capter de plus en plus de marge et de verrouiller sa position. Le mot « code » prends alors tout son sens…
Le hardware connecté sera dominé par l’acteur numérique qui sera le seul à comprendre l’acte d’achat, les usages, à identifier les paramètres infuents, les clients clés (les influenceurs), donc le client et son environnement. Le fabricant du matériel ne sera qu’un sous-traitant à faible valeur ajoutée, quel sera alors l’avenir de l’automobile ? Il n’y aura pas de marche arrière, ceci sera irréversible.
D’autant plus que ces avantages en faveur du numérique et des codes vont s’amplifier et s’accélérer. Tout est en place pour qu’arrivent des logiciels permettant apprennent à apprendre, à auto-extraire des mégabases de données remontant des clients les principales règles permettant d’amplifier encore la performance des logiciels. L’intrusion au plus profond de nos processus de décision, de choix, d’usages des objets sera appris, analysé, pour prévoir nos actes. A l’échelle mondiale, certains le refuseront, d’autres penseront en tirer un bénéfice supérieur aux risques supposés ou réels.
L’imbrication des designs des objets et des logiciels sera totale, fusionnelle,incompréhensible pour ceux qui fabriqueront l’objet.
La Google car représente cette fusion : le véhicule n’est alors que le support matériel des logiciels. Comme cela a été décrit dans des précédents articles, le véhicule circulera avant tout pour capter des données et mettre en jour les cartes numériques. La maîtrise de la cartographie, au sens de Google Apple Amazon, permet de répondre à un problème posé par l’utilisateur en le guidant vers la solution : la géographie est nécessaire mais pas suffisante, la parfaite connaissance des aménités du monde physique est nécessaire. En faisant rouler des cohortes de drones, Google pourra simultanément verrouiller sa position dominante sur les cartes en mettant à jour les aménités disponibles – et donc tous les services associés Map, Transit, Traffic, Now… - et également déplacer des personnes et des marchandises.
Finalement, la mobilité sera un co-produit de la production de données nécessaire à mettre à jour les cartes, alors que ces dernières permettent la mobilité autonome. Vu d’un fabricant d’objet, ce sera inextricable.
Edgar Morin, La Méthode et Introduction à la pensée complexe.
« Qu’est ce que la complexité ? au premier abord, la complexité est un tissu (complexus : ce qui est tissé ensemble) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d’évènements, actions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal. Mais alors la complexité se présente avec les traits inquiétants du fouillis, de l’inextricable, du désordre, de l’ambiguïté, de l’incertitude… D’où la nécessité, pour la connaissance, de mettre de l’ordre dans les phénomènes en refoulant le désordre, d’écarter l’incertain, c'est-à-dire de sélectionner les éléments d’ordre et de certitude, de désambiguïser, clarifier, distinguer, hiérarchiser…
Mais de telles opérations, nécessaire à l’intelligibilité, risquent de rendre aveugle si elles éliminent les autres caractères du complexus ; et effectivement, comme je l’ai indiqué, elles nous ont rendus aveugles.[…] La difficulté de la pensée complexe est qu’elle doit affronter le fouillis (le jeu infini des inter-rétroactions), la solidarité des phénomènes entre eux, le brouillard, l’incertitude, la contradiction. »
Reprenant E.Morin (voir l’article sur ce sujet), la somme des 2 sera à la fois supérieure et inférieure à la somme des parties. De ce paradoxe, il devient urgent de s’intéresser pour trouver notre voie d’intérêts communs.
Article très intéressant. Bravo pour cette réflexion. Je le poste sur mon blog. Un petit commentaire ; est-ce que le numérique ne se banalisera pas un jour par sa propre démultiplication ? Plus il y a d'acteurs, de différents horizons, plus sa valeur relative baissera. Nous verrons dans ..."quelques" années.
Rédigé par : Lbriant.blogspot.com | 10/11/2012 à 11:33