Dans vos projets, vos organisations, quelles sont les (vraies) richesses ?
Le covoiturage a conduit à faire baisser les tarifs des trains et à donner naissance à IDBus. Effet rebond logique et prévisible, basé sur notre économie fondée sur la concurrence et les euros. Les transports collectifs publics sont en général payant, mais certains ont choisi la gratuité, est ce forcément binaire (voir un article sur ce sujet) ? Que se passerait-il si les fournisseurs de service de mobilité créaient, en plus, leur monnaie ?
Et si l'expression de nos véritables richesses dans les transports (personne et marchandise) était un moyen puissant pour innover et changer massivement nos pratiques ? Dans vos entreprises, vos organisations, dans votre ménage, votre communauté, et pour vous-même, avez vous clairement établi vos richesses ?
Jean-Michel Cornu (FING) a publié un livre consacré aux monnaies et leur potentiel en matière d'innovation (voir cet article sur ce livre et les innovations monétaires). Il s'agit ici d'explorer la notion de richesse. Jean-françois Noubel dans le wiki du site TheTransitioner propose 3 formes de richesses.
- La richesse échangeable : nourriture, logement, services, temps, sont autant de richesses qui s'échangent. Nous sommes familiers avec la richesse qui s'échange, c'est la chose dont nous avons envie ou besoin, les ressources pour lesquelles nous entrons en compétition. Les choses que nous pouvons échanger sont les produits ou les composants de systèmes.
- La richesse mesurable : la santé ne s'échange pas, on ne peut pas se la donner. Nous pouvons donner notre sang, ce qui est susceptible de changer notre santé, mais nous ne pouvons échanger la santé elle-même. Elle est une propriété inhérente de notre corps. Cependant, la santé peut se mesurer de nombreuses façons objectives : les kilomètres que nous sommes capables de courir, ou le nombre de nos visites chez le médecin. Une autre chose qu'il n'est pas possible d'échanger est la capacité de production d'une usine. Nous pouvons vendre les produits de l'usine, ou l'usine elle-même, mais pas sa capacité de production. Par contre, nous pouvons mesurer sa productivité en comparant ce qui en sort avec ce qui y rentre. De manière similaire, la santé d'une forêt est non-échangeable. Sa diversité, sa capacité de régénération, etc, comme pour la santé du corps ou une capacité de production, peuvent être mesurées objectivement, mais elles ne peuvent être échangées. Corps, usines et forêts sont autant d'exemples de systèmes. Les choses que nous pouvons mesurer mais pas échanger sont les propriétés inhérentes d'un système.
- La richesse exprimable : l'amitié, la beauté, la liberté, la politesse, l'intégrité, la réputation, etc, sont toutes des formes de richesse que l'on peut évaluer intimement. Elles ne sont ni échangeables, ni objectivement mesurables car leur impact n'est ressenti que subjectivement. Nous vivons des amitiés de profondeur différente, de la simple connaissance au meilleur ami, nous sommes capables d'établir entre elles une différence qualitative, différence qui n'est pas pas mesurable sur une échelle autre qu'intime et subjective. Il s'agit davantage d'une différence de qualité dans la relation entre un système (soi-même) et deux autres systèmes (nos connaissances, notre meilleur ami). De manière similaire, notre réputation professionnelle (voir un article sur la réputation comme monnaie) provient de nos relations antérieures avec nos clients, employeurs, collègues. Nous pouvons nous en faire une idée subjective, mais il n'y a pas de façon objective et standard de construire notre jugement. Ces choses que nous pouvons évaluer intimement, mais que nous ne pouvons ni mesurer ni échanger, sont les résonnances inter-systémiques.
Ces niveaux de richesse sont interdépendants. De nombreuses communautés sont pauvres en ressources, mais riches en santé et en culture, encore que ce ne soit possible que jusqu'à un certain point : lorsque le manque de ressources dégradera la santé et la culture. Les communautés qui sont riches en ressources, mais qui ne préservent pas leurs autres niveaux de richesse finiront par dégrader leur capacité à préserver leur richesse échangeable.
Il est essentiel de comprendre que les moyens que nous utilisons pour échanger et exprimer ces richesses conditionnent eux-mêmes la croissance de la richesse. Le troc contient dans l'échange l'expression de la richesse, il ne présente par ailleurs aucun risque. Puis la pièce a été utilisée pour servir de moyen de reconnaissance du transfert de richesse, sa qualité apportant une confiance suffisante. Puis les métaux précieux ont été abandonnés, remplacés par des billets, nécessitant la mise en oeuvre de tiers de confiance. Ainsi nous sommes capables de créer de nouveaux moyens pour échanger de la richesse à améliorant confiance et cohésion sociale. Le numérique permet précisement d'améliorer dans des communautés d'intérêts confiance et cohésion sociale.
Quand la monnaie (euro) se fait plus rare, les richesses échangeables se passent par d'autres moyens qui mettent en oeuvre, en plus, des processus qui vont révéler les richesses mesurables et exprimables. Quelles sont, dans le domaine des mobilités, les richesses :
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échangeables: un véhicule (achat/vente, location, partage, ...), un voyage, un espace libre dans un véhicule,
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mesurables : bonus/malus pour l'assurance (qualité de conduite), nombre de point sur le permis (respect des codes), Qualité de maintenance du véhicule (contrôle technique), miles aérien/Smile/... (fidélité à un commerçant), bilan environnemental/RSE de l'entreprise (choix modaux et organisations, externalités), indépendance au pétrole pour accéder aux principaux services et à l'emploi, et demain votre indice de confiance (Confiance jugée par les personnes auxquelles vous êtes liées : covoiturage, autopartage, entretien voiture, ...),
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exprimables : possession de(s) permis de conduire, capacité à pouvoir être multimodal (expériences, pratiques,...), capacité à être multimodal (confiance, disponibilité des modes, organisation pour avoir accès aux modes), capacité à choisir l'espace et le temps (téléactivités),
Le numérique bouleverse les échanges de richesses à plusieurs niveaux. Tout d'abord il simplifie la création de places de marché pour permettre la rencontre entre l'offre et la demande directement, en supprimant les intermédiaires. Puis il propose des dispositifs techniques pour générer un niveau de confiance nécessaire et suffisant (Paypal sur EBay, Identification sur AirBnB par exemple). Se faisant, il rend mesurable et exprimables des richesses autrefois non clairement révélées. Et plus ces richesses (mesurables, exprimables) seront accessibles et visibles, plus les richesses échangeables pourront utiliser d'autres vecteurs que les monnaies rares. Nous sommes proches d'un point de basculement dans ce domaine.
Et le numérique permet également de créer de nouvelles monnaies, et même des plates-formes permettant à des communautés de créer leurs monnaies. Reprenant le wiki de TheTransitioner :
Tout au long de l'histoire, les moyens d'expression de la richesse ont évolués jusqu'à devenir plus abstraits et plus intangibles. Les monnaies libres poursuivent cette évolution, elle deviennent un méta-système, et non juste un nouveau type de monnaie. D'où l'appellation "méta-monnaies" (MetaCurrencies) quant à l'infrastructure et le standard technologique, qui va permettre la création de toutes formes de monnaie de manière universelle.
La création de monnaie revient directement entre les mains des communautés et des citoyens. Il devient alors possible de créer toutes les monnaies nécessaires pour échanger, mesurer, exprimer toutes les formes de richesse. Chacun pourra créer ses outils sur mesure correspondant à leur propre besoin.
Les flowplaces permettent de fournir des plates-formes unifiées pour toutes les formes de richesse, de la même manière qu'Internet fournit une plate-forme unifiée pour l'échange de tous types d'informations. La grande percée d'Internet fut de ne pas spécifier le type de données qui pourrait le traverser (à la différence du réseau téléphonique), la grande avancée des MétaMonnaies réside dans l'absence de pré-définition de la richesse. A la place, ce standart et son infrastructure fourniseent les briques de base pour que les collectifs puissent créer ce dont ils ont besoin pour leurs richesses.
Les collectifs -- régions, entreprises, associations, ONG, villes -- sont alors sur le champ capables d'utiliser les flowplaces et les monnaies libres pour les Systèmes d'Echanges Locaux (SEL), les banques de temps, les réseaux de troc, les programmes de droits à l'émission de dioxyde de carbone, les coopératives de garde d'enfants, les systèmes de suivi de la réputation, les programmes de fidélisation commerciale, etc. Les effets les plus importants se feront sentir lorsque l'on fera appel à la créativité pour inventer de nouvelles monnaies qui résolvent des problèmes qui nous semblent insurmontables aujourd'hui.
Ce dernier point est essentiel dans le domaine des transports. Que se passera-t-il quand de nouvelles monnaies vont apparaître dans les services de mobilité ou encore dans les modes doux (voir un article dédié aux monnaies pour le vélo) ?
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Ces monnaies pourraient alors être utilisées pour quantifier plus précisement les pratiques et améliorer encore les services, ou encore quantifier précisement les gains énergétiques, les négaWatt,
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Des mécanismes de "récompenses" publics et/ou privés pourraient se développer sur la base des nudges (voir également ce rapport du CAS sur les nudges verts),
- Ces récompenses n'auront pas d'effets rebonds négatifs car ces monnaies sont par construction locales et limitées à des communautés,
- Les ambassadeurs (personnes qui utilisent, parlent, simplifient le plus les services) sont plus facilement identifiés et deviennent des vecteurs de développement,
L'engagement d'un grand nombre de personnes dans de nouvelles pratiques de mobilités est alors envisageable à travers l'identification de futurs ambassadeurs qui seront ensuite suivis par la multitude. Les monnaies vont faciliter la représentation de nouvelles communautés de pratiques; elles vont rendre visibles toutes les richesses de ces communautés; elles vont permettre de matérialiser les objectifs, les valeurs; elles sont alors accélérer la synchronisation des citoyens pour atteindre un but. Ces dynamiques sont également imbriquées entre elles, augmentant leurs effets et créant des cercles vertueux.
Dans vos organisations, à votre niveau individuel, quelles sont vos vraies richesses ? comment les représentez-vous ? comment les échangez-vous ? avez-vous étudié la création d'une monnaie ? Et si une communauté d'usagers créait une monnaie utilisable sur vos produits/services, sans vous impliquer ? Le sujet n'est pas intéressant, il est essentiel.
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