Par le troc de données, et si on inventait aujourd'hui de nouveaux contrats ?
En modifiant le couple support/message, Michel Serres nous décrit comment le numérique, comme les précédents, bouleverse le droit établi.
Quand le numérique outille les dynamiques sociales issues de l’économie collaborative, émergent de nouveaux flux de richesses (lire Dans vos projets et organisations, quelles sont les vraies richesses ?). Plusieurs exemples existent maintenant. Ce ne sont plus des signaux faibles. Hier des start-ups proposaient des services, des informations aux citoyens pour résoudre un problème : Waze pour mieux circuler en voiture grâce à l’information temps réel des « autres » dont l’utilisateur fait partie, Moov’it pour mieux circuler dans les transports en communs, Strava pour être visible dans la communauté des cyclistes et rendre visible cette communauté, Uber pour trouver un véhicule avec chauffeur, etc … Aujourd’hui ces start-ups ne le sont plus.
Elles sont en passe de trouver un ou plusieurs modèles d’affaires, s’appuyant sur les données qu’elles génèrent pour proposer simultanément le produit/service de base et de nouvelles richesses à d'autres acteurs. Bientôt, ces sociétés auront plus d'informations que les pouvoirs publics sur les pratiques quotidiennes des citoyens. Et si s'inventaient aujourd'hui de nouveaux contrats ?
Le complexus – tissé ensemble
Plusieurs niveaux s’empilent, comme l’article réalisé il y a presque 4 années l’imaginait déjà (lire l’article L’apport des TIC vers le citoyen mais également l’autorité) : des données fonctionnelles de base, naissent de nouvelles connaissances mises en forme par la puissance du design pour alimenter de nouveaux outils aux interfaces riches. Data/connaissance/outil, ces trois couches mettent en œuvre des échanges entre de plus en plus d’acteurs hétérogènes : ils alignent leurs intérêts individuels. Ces mises en œuvre ne se réalisent que dans des territoires (réels) pour qu’émergent de nouveaux flux. Ainsi la ville de Rio (lire l’article Si tu vas à Rio …) procède du troc entre trois acteurs (Waze , Moov’it et Strava) avec leurs données issues de l’activité d’humains utilisant les applications et les informations de la ville (accidents, travaux, …). Cet enrichissement mutuel est nouveau ; il est itératif, à valorisation croisée (tout le monde y gagne), à rendement croissant (les gains vont augmenter). Déjà d’autres villes procèdent au même deal, Waze (donc Google) en fait une démarche de croissance avec Waze Connected Citizens. Initiée par le pair à pair (P2P), puis capitalisée avec le pair à privé à pair, la dynamique se complexifie avec le pair à privé à public à pair.
Urban Engines (également soutenu par Google Ventures) s’attaque, de son coté, au problème bien connu des pics de trafic du matin et soir. S’appuyant sur l’analyse des données aujourd’hui cloisonnées comme les traces GPS et les données de billetique, la promesse est ambitieuse : mettre en œuvre des récompenses à ceux qui modulent leurs horaires à Singapour et à Sao Paulo. A Mexico Living Mob imagine un « nouveau contrat social » entre les citoyens et l’autorité en exploitant à des fins « publiques » les traces GPS.
Après les partenariats public/privé
Que se passera-t-il quand 10 puis 20 mégalopoles en Asie, en Amérique du Sud, probablement en Afrique et un peu en Europe et USA, s’appuieront sur Waze, Living Mobs et Urban Engines pour connaître, prévoir et influencer le trafic ? Qui maîtrisera les données ? Et surtout qui maîtrisera les algorithmes traduisant la politique publique (lire les propos d'Evgeny Morozov sur ce point) ?
Il est probable que ces démarches ne conduisent (rapidement) à de nouveaux monopoles privés ou d’un nouveau genre si les pouvoirs publics s’y engagent dès maintenant. Le projet Mobi-lise, initié et soutenu par l’ADEME, développe et opère à Reims un dispositif complet inédit s’appuyant sur les remontées volontaires de traces GPS. Ce prototype à échelle 1 vise à explorer également les modèles d'affaires et les formes de contrat public/privé. Tout le système doit se designer : les interfaces, les applications, les contrats, les répartitions des flux de richesse, ...
Inimaginables il y a quelques années, l’actualité ne cesse de soulever de nouveaux partenariats, tous différents et contextualisés, mais tous identiques dans le processus mis en œuvre. Le cas de Portland et Uber est particulièrement intéressant et ouvre une nouvelle voie : Et si Uber était autorisé à la condition de produire et mettre à la disposition de la ville de Portland certaines données d’exploitations ? Ce deal d’un nouveau genre pourrait ouvrir de nombreuses possibilités.
“The deal between Portland and Uber could change that dynamic for the first time anywhere by making the city the ultimate sharing-economy laboratory: The city will briefly deregulate its taxi business while Uber shares its tightly held data.[…] Hales says the companies will be asked to supply the city with data on where they’re picking up and dropping off passengers, and how much they’re charging.”
Et si demain certaines compagnies étaient capables de négocier avec les collectivités via les données qu’elles génèrent ? Et si ces données ouvraient de nouveaux droits aux frontières des droits publics et privés ? Et si certaines données pouvaient être considérées comme des communs, générées par des citoyens qui acceptent, sous certaines conditions, de les verser à la communauté pour produire ou améliorer des services publics ?
Ces domaines se trouvent aux frontières de l’innovation. Les phasages historiques et linéaires (recherche, étude, industrialisation, marketing, commercialisation) ne s’appliquent plus, pire ils nous font échouer. Pour explorer ces frontières, il devient nécessaire de se former aux approches fractales (lire Chaos mode d’emploi de Bruno Marion) et pour cela d’accéder à des espaces/temps « protégés » où nous pouvons échouer ou réussir ensemble, travailler ensemble. Pour les travailler, il devient nécessaire d’inventer en même temps : les limites (le droit), les techniques, mais également les descriptions et les concepts pour en parler ensemble. De ces dynamiques, émergeront de nouveaux métiers, de nouveaux domaines, de nouvelles filières industrielles et plus important encore une nouvelle culture.
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